Rouvrez vos blogs, for fuck's sake, et autres considérations sur l'engagement
C'est le printemps, voici donc le retour des allergies et de votre reloue d'internet préférée.
Salut, vous vous souvenez de moi ? Cette insupportable boomeuse du web qui vient régulièrement vous abreuver de ses opinions non sollicitées sur des sujets divers et variés. Aujourd’hui on va parler d’engagement et d’un léger “c’était mieux avant” dans les espaces numériques (mon fils ma bataille apparemment, on choisit pas ses combats, ils nous choisissent dans une absence totale de libre arbitre). Comme à l’accoutumée, ces infolettres sont des petits billets d’humeur, ils n’engagent que moi (et encore, un moi du 11 avril vers 7h30 du matin) et ne sont pas faits pour être forcément gravés dans le marbre (la douce capacité de pouvoir faire évoluer ses avis). Je trouverais ça super que tout le monde soit d’accord avec moi, bien que légèrement inquiétant voire dictatorial, mais je trouverais ça encore plus super que ça génère simplement de petits remous chez vous, même si c’est pour ne pas être d’accord, ou pas sur tout, ou pas complètement.
Je suis en train de lire un super roman (Death Of A Bookseller, par Alice Slater), et l’un des personnages (un type faussement edgy qui se la joue beaucoup trop parce qu’il a lu tout Bukowski) fait une remarque à propos de vidéos de lifestyle qu’un des personnages aime regarder dans ses moments de vide émotionnel:
“It’s just the next generation of advertising, dressed up as entertainment. You’re watching advertorials for fun”1
En lisant ça je me suis dit “ben merde, je suis d’accord avec lui, est-ce que cela fait de moi un homme de trente ans à l’ego surdimensionné ?” Peut-être. Mais force est de constater que ce n’est pas totalement faux. Avec les réseaux sociaux on a vu arriver la bascule entre le privé, le quotidien et la publicité qui s’imisçait partout, dans les contenus sponsorisés qui débarquaient sur nos fils d’actus mais aussi dans les comptes que l’on pouvait suivre et qui tout à coup nous vantaient les mérites de produits ou marques parce qu’il y avait un partenariat commercial derrière, dont nous n’avions pas toujours conscience. Et je ne suis pas là pour dire que c’est bien ou que c’est mal, si cela vous fait du bien let’s go les petits amis, chacun son fun, mais force est de constater que c’est maintenant omniprésent. En scrollant sur les réseaux sociaux on avait l’impression de faire quelque chose de complètement différent de regarder la télévision, et on se retrouvait à être exposé-es à beaucoup plus de contenu publicitaire que lors des plages dédiées sur les chaînes classiques. Bigre.
Bon, c’était pas totalement de ça que je voulais parler aujourd’hui. C’est l’avantage d’écrire une newsletter avant huit heures du matin, c’est que ça va grandement manquer de structure.
Ah oui, rouvrez vos blogs, bordel de merde. Rouvrez vos blogs pour que je puisse les suivre, vous suivre, vous voir, lire ce que vous pensez de tel livre, ou de tel film, que je puisse avoir accès à vous (intense non) dans VOTRE espace, dans un lieu qui vous ressemble, et pas dans un endroit aseptisé où de toute manière je ne tombais plus sur vos contenus car 70% de mon feed était devenu des publications suggérées. Rouvrez vos blogs pour créer (évidemment, vous pouvez aussi faire tout cela hors des espaces numériques, chez vous, avec des carnets et de la peinture et des stylos et des appareils photos, bref ce que vous voulez), pour stimuler votre imagination et le montrer au monde. Je trouvais cela vraiment fabuleux au départ, de pouvoir avoir au même endroit tous les gens que je souhaitais suivre, et puis de plus en plus je me suis retrouvée à consommer le contenu de comptes professionnels, où l’ergonomie des posts était pensée pour flatter des algorithmes. J’y ai appris des trucs supers, j’y ai rencontré des gens, on ne va pas revenir là-dessus. Mais j’ai perdu l’habitude d’avoir devant mes yeux du contenu amateur, parce que de moins en moins de gens postaient, parce qu’il semblait y avoir une sorte de règle tacite : on poste si c’est beau, on poste si on gagne de l’argent en le faisant, on poste si c’est designé pour plaire. Sinon on ferme sa gueule et on consomme le contenu des gens qui savent le faire, et dont c’est le métier. (ouais, j’en ai déjà parlé dans une autre infolettre, vous allez faire quoi, porter plainte ? )
Incroyablement chiant donc. Donc rouvrez vos blogs, pour que vos espaces (re)naissent, pour recréer des micro-communautés car on n’est pas faits pour s’épanouir dans des schémas verticaux, sans porosité dans les rapports entre les gens. Car (en fait ça suit son petit cheminou tranquillement, cette histoire), je crois que l’on n’est pas fait-es pour suivre autant de trucs et s’en porter bien. J’ai lu quelque part (sur Substack ? Vraiment le travail de source est aux petits oignons), une pensée au vol comme quoi l’être humain de notre époque est le premier à devoir assimiler autant d’informations, tout le temps. Avant, on savait ce qui se passait dans son village, ou un peu plus loin au fil des transactions marchandes, mais l’information mettait du temps à circuler. Puis on a commencé à savoir ce qui se passait dans sa région, dans son pays. Les nouvelles de l’étranger se lisaient à retardement, ou dans des livres relatant des voyages ou des expériences. L’arrivée d’internet a été une révolution à bien des endroits, mais en grande partie pour l’information et la rapidité avec laquelle on pouvait la propager. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, on est exposé-es à de l’information en permanence (véritables infos et connaissances ou bien simplement contenu à assimiler). Panneaux publicitaires, radio, journaux, télévision, podcasts, et dans notre téléphone encore plus et plus et plus et plus. On veut s’informer en local, c’est important, et puis garder de l’attention pour les vies de nos proches, et comprendre le monde autour de nous, les dernières sorties ciné, quelques potins de star, une rentrée littéraire à venir (pitié), s’informer sur la politique l’histoire la socio blablabla. C’est épuisant. C’est impossible aussi. Pour notre cerveau, ce petit machin en surchauffe qui depuis quelques temps ne sait plus vraiment comment compartimenter, trier, traiter et surtout : hiérarchiser.
Voilà un sujet sur lequel je garde des griefs envers les réseaux sociaux (surtout un en particulier), la profusion de formats vidéos courts réduisant notre attention et demandant à notre cerveau d’assimiler sur les mêmes niveaux des informations diamétralement opposées. Des petits chats mignons qui dansent et des génocides. Comment on fait pour considérer qu’un sujet a une véritable importance, pour garder de l’empathie, du sérieux, du grave, pour être touché-es quand on a des gens qui sont payés pour créer des algorithmes qui vont façonner notre cerveau et lui indiquer que tous les contenus sont à traiter de la même façon ? On regarde vite fait et on scrolle, on aura oublié les enfants qui meurent aussi vite que le yoga facial, les dix meilleurs restos de Londres, dix secondes de poterie et des chiens qui font des têtes bizarres. Quand je repense aux heures que j’ai passées à absorber autant d’informations, parce que je ne savais pas m’arrêter, parce que j’ai un tempérament sensible aux addictions et que ces sites sont développés pour cela, j’ai l’impression d’avoir été une oie qu’on gave. Et ça me met en colère. On a quand même inventé le terme brainrot pour parler des effets du doomscrolling (autre terme créé pour parler des réseaux sociaux). Donc on fait pourrir notre cerveau au lieu de laisser notre créativité, notre imagination, notre fantaisie s’exprimer et ça me rend zinzin.
Pause Musicale pour détendre tout le monde

Ensuite, la question de l’engagement. Je ne suis pas toujours la meilleure sur le sujet (quoique, je suis quand même dans le process d’essayer de fabriquer un enfant, ce qui est un engagement plutôt important si vous voulez mon avis). Je me base sur des constatations, et comme d’habitude je vais avoir l’impression de vous donner des leçons, car je suis enthousiaste et vindicative. Vous le prenez comme vous voulez, mal est une option. Je déplore (allez tout de suite ça monte sur ses grands poneys) (que voulez-vous je prends beaucoup de progestérone en ce moment et ça me rend irascible) (laissez-moi faire n’importe quoi avec les parenthèses). Je déplore donc, de voir autant de gens utiliser internet et des espaces de sociabilité sur le web (réseaux sociaux, forums, blogs et autres) et se contenter d’être dans un rapport de consommation, d’attendre que toujours d’autres personnes se chargent de créer du contenu, d’amener un peu de fun ou de sérieux ou de créatif sur ces endroits. Quand je suis partie sur Mastodon, j’ai entendu pas mal de gens me dire : “j’ai un compte mais il ne s’y passe rien alors je n’y vais pas.” Oui. C’est sûr et certain que si personne ne poste il ne s’y passera rien, ça semble assez inhérent à une forme de logique. Que faire alors ? Je ne sais pas, au hasard, poster des trucs. S’emparer d’espaces, raconter des machins, poster des choses randoms, de la musique, des photos, du lol, des morceaux de qui l’on est, par exemple. D’où la question, selon moi, de l’engagement. Être sur internet cela demande un engagement (attention cascade, cela peut aussi s’appliquer au réel). Si vous voulez qu’il se passe quelque chose quelque part, n’attendez pas que d’autres personnes fassent les choses pour vous. Ne soyez pas dans un ptn de rapport de consommation permanent là, ça me rend folle et je vais même pas m’excuser.
Hônnetement je suis fatiguée. Je suis fatiguée d’être la reloue de service qui, lorsque tout le monde s’insurge d’un système en menaçant de prendre ses cliques et ses claques, prend les choses prem’ deg’ et dit “bah ok on se casse on va construire autre chose ailleurs, c’est pas grave”. Fatiguée, je crois, de mettre de l’énergie à créer un contenu sur des endroits que tout le monde déserte parce que c’est plus confortable de rester là où c’est chaud et doux et où l’on n’a rien besoin de faire, et surtout pas besoin de s’engager en postant, en commentant, en ayant des intéractions avec les gens. Parce que, et promis je redescends deux secondes, il n’y a rien (RIEN VOUS M’ENTENDEZ) de plus chouette et de plus galvanisant (pour chacun-e des protagonistes) que d’avoir des échanges interpersonnels de qualité. Donc, sur ces espaces nouvellement créés ou occupés, c’est extrêmement important de s’engager les un-es envers les autres. En commentant les articles ou posts des un-es et des autres (ce que je passe mon temps à faire, parce que ça fait plaisir, parce que ça me pousse à me demander ce que j’ai retenu d’un contenu, à remercier la personne d’avoir passé du temps à le produire, parce que cela tisse un lien entre les gens et que désolée d’avoir envie de vivre dans cette société de Sylvanian mais ça me fait plus rêver qu’autre chose), en partageant, en ayant une réelle attention, un “care” à ce qu’on lit, regarde etc. Depuis que j’ai rouvert mon blog et que j’évolue sur des espaces plus doux, je suis vraiment touchée de certains échanges que je peux avoir avec des gens. On commente, on échange, on va voir ce qui se passe ailleurs, on se met des liens dans nos articles vers les sites des un-es et des autres, je discute avec des gens que je ne connaissais pas il y a encore deux mois, et d’autres qui me suivaient depuis longtemps. C’est vertueux, c’est lent, j’ai réellement l’impression d’écrire pour des gens, qu’il existe des personnes incarnées en face de moi. Mais ça demande de prendre du temps, gratuitement, dans cette société capiltaliste productiviste qui vous demande de tout monétiser et d’optimiser le temps. C’est donc aller contre soi et contre le monde tel qu’il se construit actuellement. C’est inconfortable mais tellemnt fertile. Il ne se passera rien sur internet et dans le monde si tout le monde ne prend pas la responsabilité d’y mettre un peu de soi. (unpopular opinion maybe).
Donc, rouvrez vos blogs (ou vos newsletters) (et filez-moi les adresses, que je mette ça dans mon agrégateur de flux RSS), engagez-vous dans votre présence numérique (en gros arrêtez de lâcher des Vu et s’en tape dès que vous avez pris du plaisir à lire ce que quelqu’un d’autre a écrit. On est toustes là pour s’interconnecter comme des zinzins, croyez-moi). Et allez chatouiller un peu votre créativité (on en a toustes, que ce soit en écriture, en art, en développement de pensée…) parce que vous êtes supers, mais à force de pas vous voir tellement vous êtes absent-es de la vie numérique je crois que je vous connais pas, et ça me rend triste.
Bref, si vous êtes arrivé-es jusque là, merci, on s’en cause, et je vous fais un petit bisou sur le front.
"C’est juste la nouvelle génération de marketing, déguisée en divertissement. Tu regardes des publicités pour le fun.” j’aurais pu aller chercher la vraie traduction du livre en français mais pourquoi faire ça quand on peut en donner une approximative, réalisée depuis mon lit ?
La génération overblog me manque. Ce temps où on écrivait vraiment, pour soi et pour les autres, et pas pour faire rentrer les bons mots-clés dans nos textes pour plaire à l’algorithme. Le temps où on pouvait créer un blog en quelques clics, pas parfait mais ça faisait le job et ça suffisait, et que ça ne nécessitait pas maîtriser WordPress. En plus c’était gratuit. J’ouvrais mon flux RSS tous les jours pour suivre mes blogs préférés (combien de dessinateurs BD ont commencé comme ça ?), je commentais dans certains, on se connaissait même dans les commentaires. Aujourd’hui il y a trop de contenu trop de plateformes à suivre il devient difficile d’être fidèle. D’ailleurs j’ai encore du mal avec cette plateforme-ci, l’aspect payant pour lire certains contenus me freine aussi sans doute. Qui écrit encore pour soi ? Alors oui, rendez-nous les blogs !
Se rendre compte en te lisant le temps qu'on a passé sur Internet à créer des choses. Les amener aux gens, leur donner ça un peu comme on apporte une tarte aux pommes à quelqu'un, parce qu'on arrive pas les mains vides. C'est vite manger. Vite oublié. Mais c'était bon. Ça reste rien de plus foufou qu'une tarte aux pommes (mon truc c'est faire des métaphores de bouffe H24), mais on sait que ça peut être une valeur sûre. A nous de sublimer (vas-y je me prends pour Cyril Lignac), de revisiter cette tarte aux pommes pour en faire un truc qui nous ressemble encore plus. Partager l'imparfait. Ça fait totalement tilt chez moi. Bravo pour ce billet, que je vais tâcher de garder en mémoire... plus longtemps qu'une vidéo courte du méchant T.